Il est de retour le joyeux mois de mai : la tradition du Premier mai dans le canton de FribourgAnne PhiliponaSi pour beaucoup, la fête du Premier mai a une connotation de défilés syndicalistes et de revendications ouvrières, dans le canton de Fribourg, elle a une signification bien différente : celle des petits chanteurs du Premier mai. A l’origine, cette tradition ancienne n’a rien de typiquement fribourgeois. On la retrouve à maints endroits en Suisse et même en Europe, avec des variantes suivant les lieux et les cultures. Jusqu’au 19e siècle, des témoignages l’attestent dans les cantons romands. Mais seul Fribourg l’a maintenue et la pratique encore. |
Une origine ancienne
La tradition de fêter le mois de mai est une tradition ancienne et universelle. De tout temps, l’homme a célébré le retour du printemps qui symbolise le retour à la vie. Dans la mythologie grecque, Maïa est la mère du dieu Hermès. Plus tard, son nom se confondit avec la divinité romaine Maia, déesse du printemps et de la fertilité, qui donna son nom au mois de mai. Chez les Celtes, l’une des quatre cérémonies religieuses importantes, Beltaine, se fêtait le 1er mai. On y célébrait le retour de la lumière. Les druides allumaient des feux purificateurs qui symbolisaient la fin de l’hiver et le début de la saison claire. Ce temps de réjouissance marquait de même le début des travaux agraires et champêtres.
Dans notre civilisation chrétienne, la fête de Pâques représente, au travers de la résurrection du Christ, la fête de la lumière et du renouveau. Contrairement à la fête orthodoxe de Pâques qui a parfois lieu au début mai, elle est célébrée entre le 22 mars et le 25 avril au plus tard. Par contre, d’autres fêtes qui en découlent ont fréquemment lieu au mois de mai : l’Ascension, la Pentecôte et la Fête-Dieu. Les trois jours précédant l’Ascension étaient autrefois le temps des Rogations. Cette tradition, aujourd’hui tombée en désuétude ou alors pratiquée dans une version raccourcie, rassemblait les fidèles autour du prêtre qui sillonnait la paroisse en bénissant les champs. Des croix de station balisaient le parcours. Ces processions ont été organisées dans la campagne fribourgeoise jusque dans les années 1970 voire au début des années 1980.
Chez les catholiques, le mois de mai est le mois dédié à la Vierge Marie. Cette coutume date de la fin du 18e siècle et a été instituée par les Jésuites à Rome. De là, elle se répandit dans toute la catholicité. Durant le mois de Marie, deux à trois fois par semaine, en début de soirée, enfants et femmes surtout se rendaient à l’église ou dans une chapelle pour prier et chanter des cantiques. Au sortir de la cérémonie, les participants, si la soirée était douce, prolongeaient un peu la rencontre, en discutant et en s’amusant sur le chemin du retour.
Les Mayintsè d’autrefois
Il faut remonter au 19e siècle pour trouver des témoignages de la tradition des chanteurs du Premier mai. Dans un article des Archives suisses des traditions populaires de 1897, la fête de Mai est présentée comme « un des derniers restes des coutumes païennes qui ont existé autrefois chez nous »[1]. Cette fête, appelée aussi Maïentze, est connue, selon l’auteur, dans presque toute la Suisse.
Elle prend différentes formes. Cortège d’enfants mené par « l’époux » et « l’épouse de Mai », « fous de Mai » déguisés et masqués pouvant se permettre de dire « mille folies » avant de faire la quête, groupe de petites filles couronnées de fleurs et de rubans accompagnées de petits sauvages portant une épée pour les protéger, groupe d’enfants dont le premier porte un sapin décoré de rubans au sommet duquel sonne une clochette[2]. Tous vont quêter en chantant le retour du printemps, pour quelques sous, quelques œufs avec parfois de la farine et du beurre pour confectionner des beignets ou des croûtes dorées[3].
La coutume semble disparaître au 19e siècle. Ferdinand Perrier, dans ses Nouveaux souvenirs de Fribourg, s’en désole : « Mais l’usage s’en va, hélas ! tout disparaît, oh ! comme vous fuyez devant le progrès, douces réminiscences d’autrefois, joyeux souvenirs, mœurs candides et coutumes si chères ! »[4] Il témoigne encore des Maïenzé et des Chervadzo à Estavayer-le-Lac. En 1908, dans son livre Us et coutumes d’Estavayer, Joseph Volmar en donne une description assez précise : « de vraies troupes de sauvages et de maïentses arrivaient encore de la campagne à la ville, le matin du premier mai, pour chanter de porte en porte le réveil du printemps. »[5] Il regrette d’ailleurs que les rares chanteurs qu’il croise alors ne chantent plus la vieille chanson de mai, mais des chants appris à l’école. Il transcrit d’ailleurs la chanson de quête, Voici venir le mois de mai. A la fin, l’un des enfants disait, en patois bien sûr : « Un obi, sô pié ! » (Une obole, s’il vous plaît) ou « Un crutse dans la bossetta, sô pié ! » (Un cruche (kreutzer) dans la petite bourse, s’il vous plaît). Leur costume, selon l’auteur, est identique à celui porté partout en pareille circonstance : les maïentses sont « endimanchées, enrubannées et couronnées de fleurs » et les sauvages « portent tous en sautoir, des sonnettes et des grelots qu’ils agitent ordinairement après chaque couplet ; quelques-uns d’entre eux sont armés d’un vieux sabre et, détail assez curieux, ils sont tous invariablement coiffés d’un bonnet de police »[6]. La plus petite et la plus jolie des filles est la reine de mai, la maïentsetta. Entourée de deux grandes filles dont l’une porte un panier, elle reçoit des œufs, des fruits, des gâteaux ou quelque monnaie qui seront ensuite partagés.
En 1878, les Nouvelles Etrennes Fribourgeoises publient en patois la chanson du sauvage avec cette introduction[7] : Aou queminchémin dé mé, lé jinfan ché vithon in chervâdzo é van tsantin pé lé velâdzo chta coblla ché. (Au commencement de mai, les enfants se vêtent en sauvages et vont chanter dans les villages ce couplet-ci) et la mentionnent en Gruyère qui connaît donc aussi cette tradition. Elle est retranscrite ici avec la traduction publiée dans les Archives suisses des traditions populaires[8].
Chervâdzo |
Sauvage |
Chervâdzo, chervâdzo |
Sauvage, sauvage, |
Pourtant, la tradition des chanteurs du Premier mai ne semble plus présente dans ces années-là. Les rares mentions qu’on en trouve parlent toujours d’une tradition passée. Lorsque La Gruyère illustrée consacre un numéro aux chants et coraules en 1894, elle n’en fait pas mention. Pourtant, certaines chansons sont consacrées au thème du printemps : Casimir Meister met en musique deux poèmes de Louis Bornet : Le mois de mai et Galé furi. Dix ans plus tard, dans le numéro suivant consacré aux chants, les auteurs ajoutent une note, sous le chant Voici venir le mois de mai : « Ce chant, dont il existe plusieurs variantes, était autrefois chanté de maison en maison par les maïintzes le 1er Mai. »[9]
Quand donc les enfants ont-ils recommencé à chanter ? N’ont-ils jamais cessé de chanter dans certains villages ? Ce sont donc finalement les témoignages qui nous sont le plus utiles pour connaître la tradition !
Une tradition toujours présente
Même si les enfants chantent toujours de maison en maison le 1er mai, comme ils l’ont fait sans doute depuis 100 ans, la tradition a évolué au fil des ans. Par exemple, jusque dans les années 1960, la journée du Premier mai commençait obligatoirement par la messe, ce qui a disparu depuis lors.
Autrefois, les enfants ne recevaient parfois que de la nourriture : un bricelet, un morceau de pain, des noix ou des schnetz (pommes séchées). Les biscuits souvent s’écrasaient au fond du sac ou du panier et il ne restait en fin de journée que des miettes. Aujourd’hui, Sugus, Carambars et branches de chocolat sont plutôt à l’honneur. Et tous les témoignages recueillis le confirment : les enfants ont rarement faim à midi ! Ils ont en effet picoré tout le long du chemin. Les piècettes aussi ont changé : de 5 à 10 centimes jusque dans les années 1950, on est passé à 20 ou 50 centimes dans les années 1970. Aujourd’hui, la récompense varie entre 50 centimes et un franc, voire deux francs lorsque la prestation est excellente, originale et plaisante. Les enfants savent qu’il vaut parfois la peine d’attaquer la grande montée ou de se rendre dans un hameau éloigné, où l’on « gagnera » plus. La somme ainsi récoltée sert selon la tradition à acheter un cadeau pour la fête des mères. Ce sont surtout les filles qui en ont témoigné, rarement les garçons. Le reste finit soit dans la tirelire, soit sert à l’achat de bonbons ou d’un jouet.
Les chansons aussi ont évolué. Durant tout le 20e siècle, le répertoire est celui appris à l’école, d’où le rôle prépondérant des institutrices et des instituteurs dans le maintien de la tradition. Ce sont surtout dans Le Kikeriki et L’écolier chanteur, les deux livres de chant scolaires de l’abbé Bovet, qu’est puisé le répertoire. Les chants patriotiques (La prière patriotique, Salut glaciers sublimes) sont surtout entonnés jusque dans les années 1950. De tout temps, les chants traditionnels qui magnifient la nature et le travail d’autrefois du paysan (Le vieux chalet, La poya, L’armailli du Lac Noir, Le petit chevrier…) sont au programme. Plus tard, le répertoire est complété par des chansons de groupes d’enfants, comme « Les Petits Chanteurs d’Ursy » ou « Les Poppys ». Des mélodies modernes de chanteurs français connaissent, dès les années 1970, un certain succès auprès des mayintzè : L’oiseau et l’enfant, interprété par Marie Myriam, L’épervier, Santiano, Céline d’Hugues Aufray ou La cage aux oiseaux de Pierre Perret. Puis les chansons d’Henri Dès furent reprises avec succès et le sont encore ! Aujourd’hui, les chansons traditionnelles ne sont souvent plus apprises à l’école, sauf si l’enseignant a l’envie de faire perdurer une certaine tradition. Les chansons en patois font alors recette : les enfants savent qu’auprès des habitants plus âgés ils auront plus de succès et donc… une pièce de plus !
Les sociétés de jeunesse entretiennent aussi la tradition dans bon nombre de villages. Autrefois, seuls les jeunes gens allaient chanter le Premier mai. Ils faisaient la tournée des maisons, récoltant quelques sous, et surtout des œufs qu’ils entassaient dans un panier ou dans une hotte. A la fin de la tournée, ou un autre soir de mai, ils se rendaient à l’auberge – où ils avaient pris soin de convier les jeunes filles – pour la cassée. Par endroits, pour former les couples, on procédait au tirage au sort et après le repas, place à la danse ! Aujourd’hui, les groupes sont mixtes, les jeunes ne récoltent plus des œufs, mais de l’argent, qui sert souvent à organiser une sortie ou un repas pour les personnes âgées de la commune.
Dans les années 2000, le concours du Premier mai a redynamisé la tradition dans les villes et dans certains villages. De même, le concours de composition lancé par la HEP en 2013 pour étoffer le répertoire des chants du Premier mai contribue au maintien de la tradition. Ces initiatives, tout comme l’inscription du Premier mai chanté par les enfants à l’inventaire des Traditions vivantes du canton de Fribourg, vont assurer la pérennité de cette riche tradition. Ainsi, les chansons des enfants continueront à animer les villages fribourgeois de mélodies printanières chaque premier mai !
Cet article est un résumé de l’ouvrage Il est de retour le joyeux mois de mai, de Anne Philipona et Jean-Pierre Papaux,
Les Editions de La Sarine, 2014
[1] ROBERT, William : « La fête de Mai ». In : Archives suisses des traditions populaires, 1897, p. 229.
[2] GERBER, Robert : « Le folklore d’un village jurassien (Orvin sur Bienne) ». In : Archives suisses des traditions populaires, 1922, p.76.
[3] CHABLOZ, Fritz : « La fête de Mai. Coutumes neuchâteloises et vaudoises ». In : Archives suisses des traditions populaires, 1898, p.14.
[4] PERRIER, Ferdinand : Nouveaux souvenirs de Fribourg. Fribourg, 1865, p. 284.
[5] VOLMAR, Joseph : Us et coutumes d’Estavayer. Estavayer, 1908, p.65.
[6] Idem, p. 69-70.
[7] « Coraules et Chants populaires ». In NEF, 1878, p.140.
[8] ROBERT, William… p. 231.
[9] « Voici venir le mois de mai ». In La Gruyère illustrée, 1903, p.14.
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